La respiration par les talons
La respiration par les talons
Extrait du livre
de Romain Graziani (page298, 299, 300)
Fictions philosophiques du « Tchouang -tseu »
Qu’est-ce qui, mieux que la respiration, peut exprimer cet
échange continuel entre le moi et le monde, le dedans et le dehors, mieux que
cette activité continue qui commence avant même la naissance et ne s’arrête qu’à
l’instant de la mort ?
Le type d’échange que nous avons avec l’air marque
infailliblement la pulsation de notre rythme vital ; la pneumographie est
le baromètre de l’être vivant : le bâillement sous l’emprise du sommeil ;
le soupir qui marque la lassitude et l’étiage de notre énergie ; le halètement,
dont l’éreintant staccato scande un moment d’angoisse ou de frayeur ; la
dilatation des narines dans l’air vivifiant qui anime tout l’intérieur et
marque l’ingestion savoureuse du monde ambiant.
La multitude, qui ne respire que par la gorge, suffoque, le
souffle entravé, et semble vomir ses paroles : notation brève mais
frappante de la condition commune par ces images souffrantes et l’existence
malade, de la faiblesse affaissée et nauséeuse, de l’asthme psychique, de l’incurable
logorrhée, lorsque l’homme cesse de recevoir- l’âge le pliant- les vertus d’intégration
du souffle vital.
Au contraire, l’aisance fluide, l’absence d’entraves qui
caractérisent l’homme authentique se retrouvent dans la physiologie. L’image de
la respiration par les talons, qui ne laisse pas de surprendre, correspond à
une expérience réelle d’ajustement de la respiration à tout le corps, familière
entre autres à tous ceux qui pratiquent les arts du souffle.
Il s’agit seulement de comprendre que la respiration est
autre chose que l’action d’inhaler et de recracher de l’air par les narines et
la bouche, que c’est une façon de se remplir, de se nourrir de l’extérieur et
de redonner l’intérieur à chaque seconde, selon un processus duel en
phase avec le fonctionnement du monde (« un coup yin, un coup yang »).
En un sens, on s’exprime comme on respire : lorsqu’on
respire par les talons, tout le corps est sollicité, et bénéficie de fond en
comble du renouvellement continu su souffle énergétique qui nous constitue et
nous anime.
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